Tourteau de soja : le biodiesel rebat les cartes (tps de lecture : 3mn)
Résumé : bien que l’offre mondiale de graines de soja batte des records, elle ne garantit pas une disponibilité des tourteaux en conséquence. Il plane en effet de fortes incertitudes sur le niveau de la trituration sud-américaine mais aussi étasunienne pour la saison 17/18 (demande en biodiesel, taux de change, accès aux graines).
L’Argentine est le premier fournisseur de tourteaux de soja sur le marché mondial. Mais la disponibilité du coproduit est liée à la possibilité ou non pour les triturateurs d’acquérir de la graine. Celle-ci ne manque pas, mais reste au chaud chez les producteurs tant que le prix n’est pas assez rémunérateur. La parité monétaire entre alors en jeu, permettant ou non de donner de la compétitivité à l’exportation. Cet été, contrairement à la devise brésilienne, le peso argentin a perdu du terrain face au dollar. Cela a permis au pays de rester actif sur le marché du tourteau. Mais avec le succès rencontré par le parti du président Macri aux primaires des législatives, la devise se raffermit, ce qui n’est pas de bon augure pour les ventes de soja à venir. Mais un autre élément est en train de modifier la donne, il s’agit des mesures transitoires prises par les USA à l’encontre du biodiesel argentin.
Il faut comprendre que sans les exportations de biodiesel, la trituration argentine tourne au ralenti, le pays ayant un marché intérieur en alimentation animale et en biocarburant peu développé. Le gouvernement privilégie depuis longtemps la vente (à valeur ajoutée) de coproduits plutôt que de graines entières, grâce à des taxes différenciées. Malgré tout, il reste démuni face à une demande en biodiesel très volatile, changeant au gré de la réglementation des pays importateurs.
Lorsque le marché européen des biocarburants s’est fermé, il y a quelques années (droits anti-dumping), les Argentins ont pu se retourner sur les USA pour écouler leur biodiesel. Mais face au raz de marée observé en 2017 et pour protéger leur marché intérieur en plein développement, les Etats Unis viennent aussi de dénoncer le dumping. Ils ont pris des mesures transitoires qui devraient stopper net les flux entre les deux pays (au moins jusqu’à fin octobre). Cela pourrait déboucher sur une hausse de la trituration américaine de 4 à 9 Mt de soja supplémentaires dans les 12 prochains mois, et donc sur une part de marché plus importante en tourteaux de soja à l’exportation. Il est cependant fort possible qu’après quelques mois de négociations commerciales, l’agrocarburant argentin retrouve un accès au marché Us. En effet, l’administration américaine souhaite réexporter de la viande de porc en Argentine (exclue depuis 1992), ce qui pourrait déboucher sur un deal. Autre possibilité, la réouverture du marché européen, où les droits antidumping sont en sursis, Bruxelles envisage en effet leur révision (voire leur suppression).
Ce jeu de vases communicants ne doit pas nous faire oublier que partout dans le monde, à l’exception de l’U.E, les biocarburants de première génération ont le vent en poupe. Au Brésil, le gouvernement soutient à fond leur développement. Le taux d’incorporation obligatoire du biodiesel est passé à 9% en juillet (et devrait monter à 10% en mars 2018), mais le volume global produit dépend avant tout de la consommation de gasoil du pays, pénalisée par la crise économique. Le programme Renovabio, qui entrera en application en 2018 et qui introduit un marché de crédits carbone, sera cependant de nature à soutenir un peu plus le secteur. La situation reste malgré tout différente de son voisin argentin, car les volumes de tourteaux supplémentaires mis au marché sont d’abord absorbés par une demande intérieure solide. Il faut donc, là aussi, que le taux de change soit très favorable pour accroître les exportations de la farine de soja (non prioritaire face à celles de graines), ce qui n’est pas le cas actuellement.
Si l’UE mettait à exécution sa proposition de réduire drastiquement la part des biocarburants de première génération (de 7% en 2020 à 3,8% en 2030) dans les carburants des transports, au profit des biocarburants dits avancés, cela remettrait en question la fourniture pour l’alimentation animale de tourteaux, pulpes et autres drêches stimulée par cette demande « politique ». Pas de doute, nous devrions nous tourner alors un peu plus vers les importations après 2020. La Commission Européenne, qui souhaite améliorer l’indépendance protéique de ses élevages, n’en prend pas le chemin.